En 2005, Killer7 débarque sur GameCube et PlayStation 2, un jeu qui porte immédiatement la patte de son studio, Grasshopper Manufacture, et de son créateur excentrique, Goichi Suda, plus connu sous le nom de Suda51. Habitué à des productions hors normes (No More Heroes, The Silver Case), Suda51 ne cherche pas à plaire au plus grand nombre. Avec Killer7, il s’associe à Capcom et au producteur Hiroyuki Kobayashi (Resident Evil 4) pour livrer une œuvre hybride, déroutante et profondément marquée par des choix artistiques audacieux.
Destiné à un public mature, le jeu s’inscrit dans la vague des « Capcom Five » — une série de titres exclusifs à la GameCube conçus pour renouveler la scène vidéoludique. Cependant, là où des titres comme Resident Evil 4 se sont ancrés dans une certaine accessibilité, Killer7 s’impose comme une expérience de niche, audacieuse, qui divise encore aujourd’hui.
Le Contexte : Quand l’étrangeté devient une signature
Les CAPCOM FIVE (source image : https://www.thegamer.com/resident-evil-4-development-facts-trivia/ )
L’Histoire : Une énigme entre politique et folie
L’histoire de Killer7 est un kaléidoscope d’idées complexes, une toile narrative riche où le joueur se perd avec plaisir. Le jeu plonge dans un futur dystopique où les armes de destruction massive ont été éradiquées, mais où des menaces terroristes subsistent, incarnées par les Heaven Smiles, des créatures grotesques et meurtrières. Pour les contrer, un groupe d’assassins d’élite, les Killer7, est déployé.
Le twist ? Ces assassins ne sont pas une équipe classique, mais des personnalités multiples d’un homme nommé Harman Smith, un vieillard mystérieux confiné dans un fauteuil roulant. Chacune des sept personnalités dispose de ses propres compétences et d’un style de combat distinct. Ce concept, déjà troublant, est renforcé par des thématiques adultes et dérangeantes : manipulation politique, terrorisme, exploitation, et même des réflexions métaphysiques sur l’identité et la mort.
Le jeu ne mâche pas ses mots ni ses images. Il invite le joueur à réfléchir sur des sujets rarement abordés dans le médium vidéoludique, tout en l’enveloppant dans un mystère absurde et onirique qui rappelle des réalisateurs comme David Lynch ou Satoshi Kon. Tout est étrange dans Killer7, jusqu’à ses dialogues souvent cryptiques et ses personnages excentriques, du ricanement des Heaven Smiles aux alliés improbables comme le fantôme masochiste Iwazaru.
(source image : https://store.steampowered.com/app/868520/killer7 )
Le Gameplay : Entre rail-shooter et survival horror
Sur le plan ludique, Killer7 ne ressemble à rien de connu. À mi-chemin entre un rail-shooter et un jeu d’aventure, il abandonne la liberté de mouvement traditionnelle. Le joueur déplace son personnage sur des chemins prédéfinis et peut alterner entre exploration et tir à la première personne lorsqu’il fait face aux Heaven Smiles. Ce choix de gameplay, minimaliste mais maîtrisé, déstabilise autant qu’il fascine.
L’aspect survival horror est palpable dans l’ambiance oppressante du jeu. Les ennemis invisibles, reconnaissables uniquement à leur rire glaçant, forcent le joueur à scanner les environnements pour révéler leur position. Ce mélange de tension, de réflexion et d’action brutale confère à Killer7 un rythme unique, renforcé par l’utilisation stratégique des différentes personnalités de Harman Smith. Chaque assassin possède des capacités qui servent à résoudre des énigmes ou à surmonter des obstacles spécifiques, transformant chaque niveau en un casse-tête macabre.
Graphiquement, le jeu adopte un style cel-shading stylisé, presque minimaliste, qui accentue son étrangeté. Les environnements sont souvent dépouillés, mais baignés d’une atmosphère pesante grâce à des choix de lumière et de couleur qui semblent tout droit sortis d’un rêve fiévreux. La bande-son, signée Masafumi Takada (Danganronpa), oscille entre des morceaux angoissants et des pistes plus rythmées, renforçant l’immersion dans cet univers torturé.
(source image : https://store.steampowered.com/app/868520/killer7 )
Une conclusion : L’étrangeté comme force intemporelle
Presque vingt ans après sa sortie, Killer7 demeure un OVNI vidéoludique. À une époque où les productions AAA tendent à s’uniformiser pour séduire le plus grand nombre, le jeu de Grasshopper Manufacture brille par son audace et son refus de rentrer dans les cases. Son étrangeté, loin d’être un défaut, est au cœur de son charme.
Avec son mélange inclassable de narration énigmatique, de gameplay atypique et de direction artistique singulière, Killer7 continue de captiver les joueurs en quête d’expériences uniques. Si le jeu n’est pas pour tout le monde, ceux qui osent s’y plonger découvriront une œuvre qui défie les conventions et repousse les limites du médium.
Dans un paysage vidéoludique de plus en plus lisse, Killer7 est et restera une œuvre à part, un témoignage de ce que le jeu vidéo peut accomplir lorsqu’il embrasse pleinement son potentiel artistique et narratif.
Note du rédacteur
★★★★